Depuis 1783 : plus de 240 ans d'histoire
Elle écrit au Grand Orient de France pour s’opposer à la création de cette nouvelle loge. Elle décrit en termes peu amènes les frères des Élus de Sully. Et pourtant le Grand Orient de France (GODF) ne l’écoutera pas et accordera les Constitutions à la nouvelle loge, en 1785, avec effet rétroactif au 26 mai 1783. Et L’Heureuse Rencontre est chargée d’installer la loge honnie. Elle ne le fera que de mauvaise grâce en traînant les pieds pendant plus d’un an.
Surtout des militaires
Après une cohabitation difficile, les Élus de Sully trouveront tout d’abord une petite maison près du jardin botanique de l’hôpital de la Marine. Et en 1788, le vénérable Jean-Nicolas Trouille loue une partie de sa vaste maison, rue de Siam, pour en faire un temple. Les tenues y sont hebdomadaires. La loge initie de nombreux militaires. Et les passages de grades sont rapides : apprenti en janvier, on est compagnon en février et maître en juin ! Autre époque.La loge n’a que six ans d’existence lorsqu’éclate la Révolution. Celui qui fut un des fondateurs, le frère Froidevaux-Dubois, prit part au renversement de la monarchie, le 10 août 1792, aux Tuileries, comme de nombreux Brestois qui s’étaient engagés dans le régiment des Fédérés. Ce haut fait fut dignement salué par un triple vivat dans la loge au retour de Froidevaux-Dubois.
Montagnards contre Girondins
Si les trois loges brestoises, L’Heureuse Rencontre, les Élus de Sully et les Amis Intimes, sont réconciliées, les fractures de la société révolutionnaire, traversée par les luttes entre Montagnards et Girondins, vont affecter durablement la franc-maçonnerie, à Brest comme partout en France. Les loges se vident.Après la chute des Girondins, une terrible répression s’installe à Brest sous les ordres de Jeanbon Saint-André. Trouille et Bergevin, les deux vénérables des loges brestoises, échappent de peu à la mort. Il faudra attendre 1796 pour assister à la renaissance de la maçonnerie. Et quelle renaissance ! Les Élus de Sully recrutent beaucoup, surtout dans la Marine. Un état des effectifs mentionne le nombre de 165 membres, dont 60 % sont des marins !
Dans la relation de l’enfance turbulente de notre loge, on ne saurait passer sous silence la figure de celui qui en fut plusieurs fois le Vénérable, Jean-Nicolas Trouille. Girondin de conviction, il fut élu député des Cinq-Cents, sous le Directoire. C’est à lui qu’on doit le sauvetage du Palais Royal et le fait que le château de Versailles ne fut pas mis en vente.
À sa mort (1825), les Élus de Sully sont hébergés dans le temple de l’Heureuse Rencontre, rue Neptune. En effet, la loge L’Heureuse Rencontre ne se réunit plus et le propriétaire, Jean-Pierre Olivier Guilhem, souhaite voir les Élus de Sully s’y installer. Au milieu des années 1830, la loge compte désormais plus de civils que de militaires. Elle est soupçonnée d’être un foyer républicain.
Solidaires des républicains polonais et portugais
Elle va même entrer en conflit avec le Grand Orient de France, en prenant fait et cause pour une loge de Paris accusée d’avoir organisé une tenue funèbre pour un frère polonais mort pour une cause politique (1833). Les Élus se vantent d’en avoir fait autant pour des frères portugais, des militaires ayant trouvé refuge à Brest après l’échec de l’instauration d’une république. Cela conduira à une rupture avec le Grand Orient en 1855 : la loge rejoint alors le Suprême Conseil de France.Ce lien avec le Portugal existe toujours puisque nous sommes liés avec la loge Marianne de Lisbonne.
Soutien aux prisonniers des pontons en 1948 & en 1971
C’est une période où la loge est très marquée par le courant utopiste de Charles Fourier. Un des plus illustres fouriéristes fut le Finistérien Édouard de Pompéry, initié en 1839. Les idées utopistes rejoignaient aussi l’engagement de la loge pour la promotion de l’école mutualiste afin de contrer l’influence des écoles catholiques des Frères de la Doctrine chrétienne..Après les émeutes de juin 1848, les Frères apportent leur soutien aux prisonniers des pontons, qui attendaient d’être déportés en Algérie. Dans les dates notables de l’époque, l’année 1865 est marquée par la construction d’un nouveau temple dans la rue Guyot.
En 1871, la Commune de Paris provoque des dissensions entre francs-maçons. Ainsi, à Brest, la loge n’apporte pas son soutien aux communards. Toutefois, elle aide les frères emprisonnés sur les pontons, s’occupant de 42 francs-maçons à qui elle apporte nourriture, vêtements et lectures. Elle entretient une correspondance avec les familles des condamnés et aide ceux qui sont libérés.
Défense de l’école laïque
Les premières années du XXe siècle sont marquées par le retour au Grand Orient (1900) et l’installation dans un temple dans la Grande-Rue, l’actuelle rue Pasteur. La loge est très impliquée dans l’émergence du mouvement social (radicalisme et socialisme) et surtout dans la défense de l’école laïque et de l’éducation populaire et ce, dans un contexte breton où la séparation des églises et de l’État s’est très mal passée.Le premier maire socialiste de la ville, en 1904, Victor Aubert, et le premier député socialiste de Bretagne, Émile Goude, sont membres de la loge. Ce fort engagement politique se traduira par une scission en 1913, un tiers des frères décidant de rejoindre la Grande Loge de France et de reprendre le nom de L’Heureuse Rencontre.
Des Frères morts en déportation
Lors de la seconde guerre mondiale, l’arrivée de l’armée allemande le 19 juin 1940 a obligé la loge à brûler une partie de ses archives. Mais les Nazis parviennent à mettre la main sur certains documents parmi les plus anciens. Heureusement ils sont rendus aux archives départementales de Quimper en 1947.Les lois pétainistes contre les sociétés secrètes vont conduire la répression contre les francs-maçons. En seront victimes notamment l’ancien vénérable Jules Le Gall, grande figure de l’anarcho-syndicalisme. Il mourut à Buchenwald en 1944. Le premier surveillant, Maurice Michali, et son fils, arrêtés parce que juifs, sont morts à Auschwitz en mars 1944. Responsable d’un réseau FFI, Roger Bothuan est fusillé à Brest début août 1944, au début du siège de Brest. La loge a compté pas moins d’une vingtaine de résistants.
À noter enfin, une particularité liée à son histoire dans ce grand port militaire : tous les frères et soeurs des Amis de Sully sont membres de droit des quatre autres loges des ports militaires qui ensemble constituent l’Association des loges des cinq ports militaires de la France : Brest, Cherbourg, Lorient, Rochefort et Toulon. Initiée en 1872, elle a été réactivée en 2002. Une médaille que portent certains est la reproduction de la médaille originelle.
La loge reste toujours impliquée dans le combat pour la laïcité et la participation aux débats de société, tout en étant attentive à l’application du rituel et à la démarche initiatique qui fonde notre association.